Semaine Spéciale consacrée à David Lynch
"On ne sort jamais indemne d’un film de David Lynch, il y a une dimension primitive irréductible dans les images qu’ils offrent à notre perception. Le récit lynchien est une véritable expérience synesthésique qui interroge notre rapport au monde. L’impression de ressentir des émotions prénatales, de participer à un voyage intérieur d’avant la conscience. Ses premiers films font d’ailleurs de lui le prince du bizarre, tant il se plaît à fabriquer des créatures si obscènes qu’on les regarde les yeux fermés (Eraserhead, Elephant Man). Et pourtant, dans ces récits, il est moins question de l’horreur que de la sidération devant le Beau. Lorsque le Dr Treves découvre le visage incommensurable de l’homme éléphant, ce sont des larmes qui se dessinent sur son visage. La beauté est une terreur intime, une émotion qui étreint le spectateur devant l’indicible. Le plan lynchien est reconnaissable entre tous, concentré fixe sans fioritures, allant directement à l’essentiel, intensifiant l’acteur ou la chose jusqu’à les rendre majestueux. Lynch redonne tout son sublime à la représentation, il parvient dans l’image à percer le cœur de la réalité.
Les films de Lynch décrivent une lutte morale, une traversée de la nuit. Ce qui est en jeu c’est moins le mal au sens du puritanisme américain, que la peur, la hantise de ce qui est inaccessible dans l’image. Ce cinéma n’a rien de désespéré, chaque individu peut trouver sa propre voie, à condition qu’il accepte ce qu’il y a d’horrible en lui et dans le monde.
Lost Highway ne déroge pas à la règle. Ce film décrit la dérive paranoïaque d’un saxophoniste déprimé, soupçonné du meurtre de sa compagne, à partir de mystérieuses cassettes déposées sur le pas de sa porte. Cette histoire est racontée comme une passionnante enquête sur une crise d’identité parallèle. Un obscur voyage le long d’une autoroute sans issue, avec des changements d’identité comme seuls points de repère. Dans ce jeu sans fin, on perd ses repères, son sens de l’orientation, et la route, tel un labyrinthe ou un ruban de Moëbius, devient un univers inextricable, replié sur lui-même. Un monde de projection." Rémy Romain